V comme...
VANCE

BRUNO BRAZIL (1967-1983)

A propos de... Brazil et Greg
(537Mo)
Le 4 juillet 1998, à Neuilly sur Hudson.
©Benoît Mouchart

       Au moment où Greg et Vance lancèrent Bruno Brazil, ils avaient évidemment en tête l'adaptation cinématographique de James Bond. C'est donc dans cet esprit que s'inscrirent les premiers épisodes, alliant élégance et action, manichéisme et anticipation.

Greg : «En regardant le travail de Vance, j'ai compris que la froideur de son dessin, qui était peut-être un défaut, collerait parfaitement à des histoires d'espions. Aujourd'hui encore, je suis un client convaincu à 80 % par XIII. Il y a quelque chose dans le dessin qui ne me plaît pas complètement. Comme avec certaines — trop ? — jolies femmes avec lesquelles on n'arrive pas à conclure : un glaçon au dernier moment... Mais le talent de Vance reste énorme.» 


© Editions Dargaud

Tiré à quatre épingles dans ses smokings cintrés ou ses cols roulés noirs, l'agent américain Bruno Brazil s'entoure, dès le deuxième album, d'une équipe de marginaux et d'anciens repris de justice, qui forment le Commando Caïman. Ses compagnons d'armes sont autant de «caractères» : la brune Whip Rafale use de son charme autant que de son fouet, Texas Bronco est un cow-boy moderne qui sait jouer du six-coups, le Mexicain Gaucho Moralès cache ses bons sentiments derrière ses sautes d'humeur, l'ancien jockey Big Boy Lafayette neutralise ses ennemis grâce à son yoyo d'acier et Billy Brazil, le petit frère de Bruno, est spécialisé dans le maniement des explosifs

Greg : «J'ai créé le Commando Caïman pour que Brazil soit secondé par une équipe de spécialistes. Des films comme Les sept mercenaires ou Les douze salopards partent du même principe : on sort des types de prison, on les met ensemble et ils forment une équipe de baroudeurs.»


Le Commando Caïman au repos... (© Editions Dargaud)

       Brazil et son commando de choc obéissent toujours aux ordres des autorités militaires dont ils dépendent avec enthousiasme et patriotisme. Du moins, dans un premier temps. Avec La Nuit des chacals, le ton de la série change singulièrement et la référence aux sympathiques films d'espionnage stéréotypés des années soixante s'efface au profit d'une ambiance plus noire, voire tragique. En consacrant un diptyque à la Mafia, Greg donne plus d'épaisseur à des personnages qui restaient jusqu'alors sans aucune autre motivation que celle de remplir leurs missions pour le compte des Services Spéciaux. Peu de temps après, le scénariste rompt également avec une règle de la BD classique, héritée du roman-feuilleton, qui veut que les personnages sympathiques ne doivent pas mourir au cours d'une aventure. La mort de Big Boy Lafayette dans Des caïmans dans la rizière  fut un véritable choc pour les lecteurs de l'époque, tant la série s'écartait de la tradition. Brazil, en étant confronté à la mort de ses proches, perd pour la première fois un peu de ses certitudes de samouraï moderne.


© Editions Dargaud

Greg : «Cette évolution se retrouvait également dans le cinéma de l'époque, où l'on n'admettait plus que les héros soient délicatement éraflés au front ou au bras gauche, là où ça ne fait pas mal... Je voulais montrer la réaction de mes personnages devant la violence, sans pour autant m'en délecter. Cela permettait de rendre les histoires plus crédibles et les héros plus fragiles et donc, une fois encore, plus humains.»

      Du héros invincible et triomphant des premiers épisodes, il ne reste bientôt plus qu'un homme désabusé, affaibli par les échecs accumulés. À la fin de Quitte ou double pour Alak 6, Bruno Brazil mesure combien l'idéal pour lequel il avait combattu jusqu'alors était vain et inutile. L'exaltation héroïque des débuts n'est plus qu'un souvenir et Brazil, perdant son regard dans de vieilles photographies, se morfond dans un «aquoibonisme» sans illusion et sans retour. Il ne s'est d'ailleurs jamais relevé de cette dépression, puisque la série s'est malheureusement interrompue au début des années quatre-vingt.


© Editions Dargaud

Greg : «Je voulais continuer Bruno Brazil  en changeant de ton. Whip Rafale, qui ne se serait plus déplacée qu'en fauteuil roulant, serait devenue une secrétaire à poste fixe. Il y aurait eu une nouvelle équipe, mais j'aurais surtout montré la lassitude de Brazil et Moralès, qui auraient continué de travailler aux Services Spéciaux uniquement parce qu'ils sont des soldats payés pour cela.»

       Le départ de Greg pour les États-Unis, puis la création de XIII  par Vance et van Hamme, achevèrent d'enterrer Bruno Brazil. Longtemps délaissée par Le Lombard, cette étonnante série retrouve enfin aujourd'hui les rayonnages des libraires, grâce à une superbe réédition.